Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

Compte-rendu du colloque : « Sainte Geneviève. Histoire et mémoire » – Florian Pignault

À l’occasion des 1600 ans de la naissance de sainte Geneviève, sainte patronne et figure tutélaire de Paris, plusieurs événements avaient été organisés en 2020 (spectacles, processions, expositions…), dont certains reportés en 2021. Parmi ceux-ci, un colloque universitaire sur sainte Geneviève, parrainé par Sorbonne-Université, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, l’Archevêché de Paris, la Mairie de Paris et la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Il s’est tenu du 3 au 5 novembre 2021, successivement à la Sorbonne, au Collège des Bernardins et à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

Un précédent colloque sur sainte Geneviève s’était tenu en 1983[1], qui avait scruté les Vies de sainte Geneviève, l’établissement des textes dans leur contexte et leur transmission. Une traduction de la Vie de sainte Geneviève parue aux Sources chrétiennes en novembre 2020[2] fait le lien avec ce précédent colloque. La Vie de sainte Geneviève, écrite dans les vingt ans qui ont suivi sa mort donne une connaissance fournie peu courante pour un personnage du haut Moyen Âge. En complément du colloque de 1983, les intervenants du colloque de 2021 discouraient cette fois-ci, après une demi-journée sur la période contemporaine de sainte Geneviève, sur l’invocation et parfois la convocation de sa figure à travers les siècles. Quatre sessions ponctuaient ainsi les cinq demi-journées : « Le monde de Geneviève » (Antiquité tardive) ; « Le culte vivant de Geneviève » (Moyen Âge – Temps modernes) ; « Renaissances de Geneviève » (Temps contemporains) ; « La Montagne-Sainte-Geneviève ».

I. Le monde de Geneviève

Mercredi après-midi 3 novembre, le colloque s’ouvrait sous les lambris de la salle Louis Liard, à la Sorbonne. Après un mot d’accueil des représentants des différentes institutions parrainant le colloque, Michel-Yves Perrin (EPHE-PSL) a pris la parole pour esquisser un tableau historique de l’implantation du christianisme dans le Bassin parisien dans les débuts du Ve siècle. La critique littéraire de la Vie de sainte Geneviève ayant retenu que l’auteur n’a pas connu directement Geneviève, on peut admettre une certaine rétrojection du christianisme du VIe siècle sur celui du Ve siècle. Les épisodes de la vie de Geneviève se déroulent principalement dans le pays senon (autour de Sens), à peu près équivalent au Bassin parisien. Paris est alors une petite ville par rapport à Tours, Reims ou Rouen. Au IVe siècle déjà, le calendrier chrétien marque le temps social : pas de spectacle le dimanche, ni de torture pendant le Carême. Le paganisme a disparu du paysage urbain : la Vie de sainte Geneviève ne confronte jamais la sainte au polythéisme. La géographie ecclésiastique épouse celle des structures administratives mais l’Église du temps de sainte Geneviève est encore en train de se construire : la distance entre le clergé et le laïcat était moindre, avec des métiers exercés par les clercs, parfois leur mariage, tandis que l’ascèse était tout à fait partagée entre clercs et laïcs.

Suivait alors une communication de Jérémy Delmulle (IRHT-CNRS) sur la présence du pélagianisme – hérésie chrétienne qui professait que l’on pouvait plus ou moins se passer de la grâce de Dieu pour parvenir à la sainteté – dans les Vies de Geneviève. En effet, la Vita de Geneviève fait remonter la vocation de la sainte femme à son enfance, lorsque Germain d’Auxerre et Loup de Troyes s’étaient arrêtés à Nanterre, dans leur route vers l’Angleterre pour y combattre le pélagianisme. L’étude de l’incise sur le pélagianisme et le résumé que l’auteur fait de cette doctrine permet de vérifier qu’il est renseigné et qu’il écrit avec précision.

Claire Fauchon-Claudon (ENS Lyon) poursuivait l’après-midi à partir d’un autre épisode de la Vita : « Syméon le stylite et Geneviève. Les circulations entre la Syrie et la Gaule à l’épreuve de la documentation tardo-antique ». La communication s’appuyait sur l’évocation d’une connaissance des actes de sainte Geneviève par saint Syméon le Stylite – le mémorable ermite chrétien de Syrie qui vivait retiré en haut d’une colonne – et la demande d’intercession qu’il lui adresse par l’intermédiaire de marchands gaulois. L’intervenante s’est interrogée sur la crédibilité d’un tel épisode au regard des matériaux historiques disponibles. Si l’épisode n’est pas impossible, il évoque surtout le besoin de légitimer le nouveau type de sainteté que représente sainte Geneviève : figure féminine indépendante dont l’ascèse diffère de celle des moines égyptiens, dont la prière a l’efficacité très concrète de repousser Attila, le célèbre chef des Huns qui avait mené une expédition en Gaule en 451, et de nourrir le peuple.

Une évocation archéologique concluait la première demi-journée avec Jacques Legriel (INRAP), sur les fouilles de la nécropole antique du Bas-Empire au 40, rue Sadi-Carnot à Nanterre. Nécropole contemporaine de Geneviève, sur le lieu présumé de son enfance : le christianisme n’avait pas encore modifié les pratiques funéraires dans les populations de cette nécropole, et atteste ainsi d’un christianisme encore naissant dans ces régions.

II. Le culte vivant de Geneviève

La deuxième journée portait sur le culte vivant de Geneviève, aux époques médiévale et moderne. La première intervention était assurée par Édina Bozóky (Université de Poitiers) sur « Geneviève, protectrice de Paris face aux envahisseurs et aux calamités ». Après être revenue sur l’épisode connu de l’invasion d’Attila et du rôle de Geneviève dans la mobilisation des femmes contre les maris, pour ne pas fuir Paris, Édina Bozóky a poursuivi sur la postérité de ce rôle de Geneviève face aux envahisseurs et autres calamités, par l’intermédiaire de ses reliques. Les reliques de Geneviève n’ont pas tout de suite été utilisées dans ce but : devant les attaques normandes du IXe siècle, les reliques ont d’abord été mises à l’abri. C’est lors de la troisième attaque des Vikings que ses reliques ont été utilisées pour faire face à l’attaquant et encourager les défenseurs de la ville. Les processions des reliques sont également décidées pour faire face aux inondations, depuis un miracle de 822 où la chambre de la sainte avait été préservée. Mêmes processions depuis 1129 et des guérisons miraculeuses contre le mal des ardents, ce mal dû à une intoxication par des champignons parasites du seigle, qui donnaient la sensation d’intenses brûlures et pouvaient aller jusqu’à causer une gangrène. À cause de récits de sa vie où elle protège de la tempête les moissons de ses champs, elle était également invoquée dans ce but.

C’est à un pas de côté que nous invitait Thierry Kouamé (Université Panthéon-Sorbonne), en scrutant cette fois-ci l’abbaye Sainte-Geneviève : « Sainte-Geneviève dans le système d’enseignement parisien, XIIe-XVIe siècles ». L’abbaye était un lieu d’instruction avant même les débuts de l’université de Paris. Son exemption par rapport au pouvoir diocésain, la juridiction qu’elle exerce sur la montagne Sainte-Geneviève, vont en faire le lieu d’éclosion de l’université de Paris, en concurrence toujours plus grande avec l’école cathédrale et son monopole de la délivrance de la licentia docendi. Le lien direct entre la papauté et l’abbaye Sainte-Geneviève lui permettait d’exercer plus efficacement son influence, notamment avec l’arrivée des ordres mendiants, favorisés par Rome.

En écho avec les Vita de Geneviève écrites peu après sa mort, des vies de Geneviève en prose ont été écrites beaucoup plus tardivement, pour un usage clérical ou plus profane. C’est Françoise Laurent (Université Clermont-Auvergne) qui éclairait ce point avec son exposé : «Les Vies de sainte Geneviève en prose des XIVe-XVe siècles : projet historique, projet littéraire ». Écrites parfois dans un autre contexte que parisien, ces récits ne sélectionnent pas toujours les épisodes célèbres aujourd’hui, faisant parfois l’économie de l’épisode sur Attila par exemple, et développant parfois d’autres épisodes, comme la dispute de Geneviève et sa mère.

Laurence Croq (Université Paris-Nanterre), concluait cette demi-journée par un exposé qui nous faisait entrer dans l’époque moderne : « La société parisienne et le culte de sainte Geneviève aux XVIIe-XVIIIe siècles ». À partir du XVIe siècle, les porteurs de châsse pouvaient être des laïcs : la fonction s’est de plus en plus embourgeoisée, jusqu’à ne concerner, au début du XVIIIe siècle, que les marchands des corporations les plus estimées. Après 1725, les reliques ne sont plus sorties en procession, à cause des désordres dans les rues : c’est l’occasion d’une reprise en main par le clergé, qui déracine le culte de son terreau social. Les élites vont être de plus en plus distantes du culte de Geneviève. La dévotion reste populaire dans les couches sociales inférieures, avec un écho au sommet de la pyramide sociale, dans la famille royale. Ainsi, Louis XV, après une guérison attribuée à Geneviève en 1744, promet de faire rebâtir la basilique Sainte-Geneviève.

Dans l’après-midi, les interventions ont repris de nouveau sur l’abbaye Sainte-Geneviève réformée au XVIIe siècle, avec Isabelle Brian (Université de Lorraine) qui a traité comme sujet : « Les Messieurs de Sainte-Geneviève et sainte Geneviève ». Sous l’impulsion du cardinal François de la Rochefoucauld, l’abbaye Sainte-Geneviève devient alors chef d’ordre de la Congrégation de France des chanoines réguliers de Saint-Augustin. À la fin du XVIIe siècle, l’ordre comprend un millier de chanoines dans toute la France, désignés ordinairement comme « Génovéfains ». Ordre important dans l’Église prérévolutionnaire, par son érudition et sa spiritualité.

La période révolutionnaire, justement, a été évoquée par l’intermédiaire de l’exposé de Paul Chopelin (Université Jean-Moulin Lyon3) : « 3 décembre 1793, la destruction des reliques de sainte Geneviève. Histoire et mémoires ». Même si l’historiographie postérieure en a souvent fait un symbole de la déchristianisation révolutionnaire et de son iconoclasme, la destruction des reliques de Geneviève n’était pas inéluctable. À Reims, la sainte ampoule a été détruite, mais les reliques de saint Remy préservées. Elle était vue, au début de la Révolution, comme une sainte patriote. C’est la destruction des symboles de la monarchie, dans une ambiance de crainte de la Vendée, de culte de la Raison à Notre-Dame et de surenchère politique, qui provoque « l’exécution », en Place de Grève, des reliques de la sainte et le démontage de sa châsse à la Monnaie de Paris.

La dernière intervention de la journée permettait un parcours iconographique. Marie-Hélène de La Mure (Bibliothèque Sainte-Geneviève), évoquant son sujet « Sainte Geneviève : une figure, une communauté, une collection », nous a en effet présenté les éléments de l’exposition que la Bibliothèque Sainte-Geneviève avait élaborée pour 2020 et l’année des 1600 ans. C’est surtout la représentation de sainte Geneviève avec son cierge qui est représentée, comme figure du combat spirituel (sur le chemin de Saint-Denis, un mauvais esprit voulait l’éteindre, mais la force spirituelle de la sainte lui permet de rallumer ce symbole du baptême et de la foi). Après la journée de colloque, l’ouverture des réserves de la Bibliothèque Sainte-Geneviève permettait de revoir in situ les œuvres présentées dans les ouvrages anciens : ouvrage de dévotion, de confrérie ou antiphonaires (livres liturgiques pour le chant des psaumes).

III. Renaissances de Geneviève

La troisième journée du colloque nous ouvrait à la période contemporaine. C’est l’exposé de Rémy Hême de Lacotte (Sorbonne-Université), « La sainte patronne de la moderne Babylone ? Enjeux du culte de sainte Geneviève dans le Paris concordataire », qui nous introduisait à la période post-révolutionnaire. Immédiatement après la Révolution, il n’y avait plus ni Génovéfains ni reliques de sainte Geneviève, ni abbaye : le Panthéon n’avait pas eu le temps d’être consacré au culte catholique et l’ancienne abbaye avait été détruite. C’est d’abord Saint-Étienne du Mont qui a repris le culte de sainte Geneviève, puis à la Restauration, le Panthéon devenu basilique Sainte-Geneviève complète le dispositif cultuel. Au cours du XIXe siècle, le culte de Geneviève se nationalise, parallèlement au culte de Jeanne d’Arc. Finalement, c’est la dévotion mariale et celle du Sacré-Cœur qui l’emportent à la fin du siècle : Montmartre remplace la Montagne Sainte-Geneviève.

C’est à un autre parcours iconographique auquel nous a ensuite invités Isabelle Saint-Martin (EPHE-PSL) avec son exposé : « De l’image romantique à la protectrice des temps modernes : art et dévotion au cours des XIXe et XXe siècles ». À travers des exemples de vignettes, parfois très populaires, on retrouvait évoquée surtout la figure de sainte Geneviève faisant face à Attila, dans le contexte de défiance grandissante contre l’Allemagne.

François de Vergnette (Université Jean-Moulin Lyon3), poursuivait ce parcours iconographique, cette fois-ci avec une traitement du sujet de sainte Geneviève en-dehors du cadre cultuel ou de dévotion. Son exposé : « Geneviève, une sainte pour les artistes “fin-de-siècle” », traitait en effet de certaines images faites pour les salons, ou même pour les cabarets !

Florian Michel (Université Panthéon-Sorbonne), concluait la matinée par : « Sainte Geneviève et les intellectuels chrétiens du XXe siècle ». Chantée par Péguy comme veillant sur une capitale ambivalente – « ville déférente et pourtant pamphlétaire » – elle est mobilisée au moment de la Première Guerre mondiale comme d’autres saints français, dans la lutte contre l’Allemagne. C’est le rôle qu’elle joue à nouveau au début de la Seconde Guerre mondiale. Mais l’après-guerre la voit délaissée par les Français restés au pays, moins par les Français expatriés (Raïssa Maritain) ou les Russes orthodoxes (Hélène Iswolsky).

IV. La Montagne-Sainte-Geneviève

La dernière demi-journée avait lieu à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Deux interventions ponctuaient cet après-midi. D’abord celle de Hélène Noizet (Université Panthéon-Sorbonne) et Marlène Helias-Baron (IRHT-CNRS), sur l’aménagement de la Montagne par l’abbaye Sainte-Geneviève au XIIe-XIIIe siècles. Elles nous ont présenté les résultats de leurs recherches faites à partir du traitement numérique de l’urbanisation de la Montagne Sainte-Geneviève : dérivations de la Bièvre, aménagement des zones fluviales par l’abbaye de Sainte-Geneviève pour mettre en valeur ses propres terres.

Le colloque était conclu par Alexandre Gady (Sorbonne-Université), avec un exposé intitulé : « Rebâtir l’église Sainte-Geneviève : Soufflot face aux Lumières », à propos de la construction de l’actuel Panthéon. La décrépitude de la précédente église abbatiale nécessitait une reconstruction, finalement décidée par Louis XV. Ce fut l’occasion de forts débats, puisque le plan tranchait avec l’architecture tridentine : croix grecque et colonnade évoquant davantage les temples païens. Il s’agit d’une réponse forte aux philosophes, en magnifiant un lieu originel pour la monarchie. Les difficultés d’ingénierie ont cependant retardé fortement le chantier, particulièrement à cause du dôme, ne permettant pas de la consacrer avant la Révolution.

Conclusion

Ainsi, sainte Geneviève est une figure polysémique, dont le culte, la vénération, parfois la récupération, ont pu épouser les enjeux des différentes époques. Cette polysémie n’est pas synonyme de plasticité : la vie de sainte Geneviève est bien connue, remarquablement pour son époque. C’est la densité de sa vie qui permet de l’évoquer à bien des occasions.

L’histoire de la mémoire de sainte Geneviève nous montre cependant que cette évocation se resserre sociologiquement de plus en plus, particulièrement dans les deux derniers siècles, à l’inverse de sainte Jeanne d’Arc qui reste populaire. L’aspect beaucoup plus local du culte de sainte Geneviève et les évolutions démographiques et spirituelles du peuple de Paris l’expliquent sans doute pour une grande part.

 

Florian Pignault – Master 2 Histoire


[1] Le 22 janvier 1983 à l’hôtel de ville de Paris. Un ouvrage avait été rédigé pour préparer le colloque et l’exposition afférente : Dubois Jacques et Beaumont-Maillet Laure, Sainte Geneviève de Paris : la vie, le culte, l’art, Paris, Beauchesne, 1982, 167 p.

[2] Isaïa Marie-Céline (éd. scient.) et Bret Florence (éd. scient.), Vie de sainte Geneviève, Paris, Cerf, 2020, 379 p.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
mastersfdl (15 juillet 2022). Compte-rendu du colloque : « Sainte Geneviève. Histoire et mémoire » – Florian Pignault. Investigatio. Consulté le 24 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/ra87


Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.